Archéologie du discours amoureux : prototypes et régimes de l'amour littéraire dans les traditions galloromanes médiévales

L’histoire de l’amour courtois propose un récit complexe, dans les faits littéraires autant que dans les vicissitudes de son herméneutique. De nombreux embarras et impasses dérivent d’emblée de l’histoire de sa désignation - et du patrimoine théorique qui l’accompagne. Utilisée régulièrement comme unité minimale d’identification de la représentation amoureuse, la notion d’amour courtois continue de délimiter l’érotique galloromane : mais si, d’une part, elle aide à en souligner les spécificités, elle en force, de l’autre, l’univocité. Depuis l’étude fondatrice de G. Paris (1883), l’amour dans la littérature médiévale a fini par correspondre, au sein des consciences critiques, aux critères fondamentaux de l’amour courtois. Les conséquences de cet équilibre trompeur sont, dans la production critique, variées. Dans le domaine de l’étude synchronique mono et intertextuelle, les autres formes et sens que l’amour médiéval connaît en dehors de ce schéma ne font pas l’objet d’une attention interprétative aussi scrupuleuse que celle qu’on accorde à l’amour courtois proprement dit ; dans la perspective de l’histoire des origines, l’amour courtois est aisément placé dans un parcours idéologique et culturel indépendant par rapport à l’histoire littéraire générale ; les aspects chronologiques internes à ce phénomène sont généralement aplatis, dans un mécanisme de nivèlement des cycles temporels ; à l’immobilité des paradigmes exégétiques s’est associée, enfin, la constitution d’un “canon” de textes faisant fonction de garants de la définition. L’état de l’art, qui compte à présent des progrès remarquables, bénéficie d’études éminentes sur ce sujet. L’ensemble de ces résultats n’a toutefois pas engendré un réseau critique compact, au vu de ce qui procède des pivots interprétatifs fondamentaux. Dans notre thèse, nous offrons des hypothèses herméneutiques et un modèle méthodologique visant à l’éclaircissement et à l’élargissement des perspectives. à l’univocité des théories liées au canon et à la notion d’amour courtois, le présent travail substitue un plan d’analyse plus ample, celui du discours amoureux galloroman : les marges d’un tel objet sont ouvertes à toutes les expressions et représentations érotiques de matrice laïque. Les possibilités hétéroclites du discours amoureux (R. Schnell 1989), qu’il est fondamental de considérer comme un ensemble idéologique, culturel et littéraire, sont soumises à une analyse visant à offrir un cadre interprétatif à la fois particulier et général. Afin de réévaluer les fondements de cet objet (en renouvelant mais aussi en bornant les horizons de R. R. Bezzola, 1944-63), notre enquête fait collaborer les plans critiques et chronologiques: la phase exégétique de cette étude, supportée par l’analyse philologique des textes, s’accompagne de l’étude stylistique et rhétorique. Ce travail procède selon les étapes suivantes : l’identification des motifs et des thèmes génératifs (noyaux de fond) a été suivie par la construction d’un répertoire de prototypes du discours amoureux et par l’étude de leur diffusion selon les époques et les lieux. Cette opération a été supportée par la périodisation du discours amoureux en trois phases distinctes, au sein desquelles le code expressif s’est fixé : le Midi, d’abord, inaugure la phase de formation d’un langage lyrique primordial, qui vise à valoriser et sublimer l’amour humain, pour exalter la chasteté dans une morale interne et élitiste ; dans le Nord, ensuite, naît un discours amoureux qui concilie la pensée et la formation des clercs avec l’idéal conjugal séculier, construisant de ce fait un modèle d’ordre social ; enfin, les réalités urbaines septentrionales offrent, d’un côté, une réception néo-curiale des prototypes lyriques et, de l’autre, une réélaboration théologique et encyclopédique, mais aussi profane et pratique, de la tradition courtoise.